SKETCHETERA : ENTREVUE AVEC LES AUTEURS ET LES AUTRICES DE LA CUVÉE 2023 DE L’ÉCOLE NATIONALE DE L’HUMOUR

SKETCHETERA

SKETCHETERA : ENTREVUE AVEC LES AUTEURS ET LES AUTRICES DE LA CUVÉE 2023 DE L’ÉCOLE NATIONALE DE L’HUMOUR

Théâtre Sainte-Catherine - 17 juillet 2023

Le 17 juillet dernier, une petite heure avant le début du show, j’ai eu la chance de m’entretenir dans la charmante cour à poubelles du Théâtre Sainte-Catherine avec 4 des 7 auteur.rices finissant.es de l’École nationale de l’humour (ENH) qui présentaient le spectacle Sketchetera (soit Félix Wagner, Olivier Guindon, Zachary T. Gauthier et Laurence Lussier).

Passons les présentations et allons directement dans le vif du sujet.

QUESTION : Avant l’ENH, vous aviez tous.tes une autre vie. Je suis curieux, comment votre décision de faire le saut en humour a-t-elle été accueillie par votre entourage?

LAURENCE : J’ai étudié en cinéma avant et je travaillais pour des festivals de films, ma famille avait déjà un peu fait le deuil que je travaillerais dans un milieu stable. Quand j’allais entrer au cégep, là mes parents étaient vraiment moins enclins au fait que j’aille dans un milieu instable, mais là ma mère était juste heureuse que je fasse ce que j’aime et que je sois dans un milieu qui me rend bien.
OLIVIER : Mais c’est quand même l’ENH! Oui ça peut être moins rassurant pour certains parents, mais on est 7 ou 8 pris par année sur des centaines d'applications. Oui, je m’en vais dans un milieu peut-être plus précaire », mais en même temps pour les auteurs et pour les humoristes c’est pas la même game. On se fait beaucoup dire que tout est écrit en télé, il y a plein d’émissions de radio scriptées, il y a beaucoup de shows de scène. C’est sûr qu’au début, ce n’est pas en claquant des doigts que tu as la stabilité, mais je pense qu’il y a, en tout cas dans le métier d’auteur.rice, plus rapidement de jobs offertes à ce niveau-là.
ZACHARY : Moi mes parents sont musiciens, ils sont déjà dans l’art, ça ne les a pas trop troublés. J’ai fait un bacc [avant], c’est sûr que mon chemin n’était pas tracé, mais je pensais vraiment que j’allais continuer, mais j’ai été pris à l’ENH et mes parents étaient vraiment contents pour moi. Mais honnêtement, la formation d’auteur.rice, veut, veut pas, ça va toujours te servir. Peu importe si tu continues à faire de l’écriture humoristique, c’est quand même une excellente formation pour communiquer tes idées, pour les transmettre à l’écrit. Ça donne un esprit créatif qui est très précieux dans beaucoup de facettes de ta vie, peu importe dans quel milieu de travail tu vas évoluer. Je pense que ça, ce n’est pas à négliger.
FÉLIX : Moi mes parents l’ont vraiment bien pris. Ils m’ont même encouragé à y aller, mais c’est parce qu’ils n’ont pas été choqués parce que c’est arrivé à un moment de ma vie où j’avais fait plein de trucs artistiques avant. J’ai toujours été honnête avec mes parents en mode « ce ne sont pas les études qui m’intéressent, je vais faire mes trucs à côté » donc j’ai fait du stand up, j’avais une soirée d’humour, j’ai fait une chaîne Youtube, du théâtre. Puis là, j’avais besoin d’une validation pour valider mes acquis que j’avais développés dans mon coin et puis l’ENH avait une très bonne réputation dans le milieu humoristique.

QUESTION: Vous êtes tous.tes jeunes et sensibles aux enjeux sociaux contemporains, des enjeux qui sont loin d’être drôles et joyeux. Malgré ça, vous les abordez quand même en humour, pourquoi?

ZACHARY : Je pense que c’est là que le drôle réside. Je pense que c’est aussi une manière de sensibiliser à des enjeux qui sont réels, par le rire c’est toujours payant. Parler de quelque chose de tragique, de notre réalité humaine, des changements climatiques ou whatever, ça te permet de travailler ton sens de l’observation aussi. La base de faire de l’humour puis de trouver des sketchs c’est de porter un regard original sur une observation banale. Je pense qu’en abordant des sujets un petit peu plus heavy ça permet justement de leur enlever cette inaccessibilité-là.
FÉLIX : Je pense que rire du tragique ça permet de mieux l’accepter. Je pense à Guillaume Bats (note de l’auteur : l’artiste est malheureusement décédé le 1er juin 2023), un artiste français qui rigolait beaucoup de son handicap. Je pense que ça permet de beaucoup mieux s’accepter. Moi je n’ai pas de handicap, mais je sais faire preuve d’autodérision. J’ai beaucoup rigolé de ma timidité. Je n’ai pas eu beaucoup de relations amoureuses dans la vie donc j’aime beaucoup rigoler de ça pour mieux l’accepter. Rire du tragique permet de mieux accepter la situation.
OLIVIER : Et je pense que, en plus de tout ça, quand on sensibilise, souvent, c’est par une conférence à l’école, ce sont souvent des contextes sérieux. Parfois, l’information te rentre un peu par la gorge sans nécessairement que tu aies le goût. Tandis que quand tu t’en vas voir un show d’humour, ou un show à sketchs comme le nôtre, tu ne t’attends pas nécessairement à réfléchir, mais à un moment donné, le but de l’humour engagé c’est de faire rire, de sensibiliser, mais aussi que ce ne soit pas super lourd à vivre. Je pense que c’est la force, en tout cas, des sketchs qu’on a dans notre show qui ont des enjeux plus sociaux, plus modernes. Je pense qu’on a réussi, tous les auteur.rices à trouver une twist niaiseuse pour rendre ça plus léger.
ZACHARY : Oli, d’ailleurs, a un sketch sur la grossophobie qui est EXCELLENT (note de l’auteur : après l’avoir vu, je confirme : le sketch BotaCity d’Olivier Guindon est en effet un des points forts du spectacle)
LAURENCE : On peut vraiment rire de tout tant que c’est bien fait. L’humour peut enlever un peu les tabous puis rendre ça comique.
OLIVIER : C’est vrai, on entend beaucoup qu’on ne peut plus rien dire, qu’on ne peut plus rire de rien ou whatever, mais je pense que ce n’est juste pas vrai, c’est juste qu’on ne peut plus le faire de manière déplaisante et clichée.

QUESTION : Une des particularités de l’écriture, c’est d’être au tout début du processus de création. Bien souvent, une fois le sketch, le numéro ou le scénario écrit, l’auteur.rice est mis de côté. Donc iel n’a plus vraiment le contrôle sur ce que va avoir l’air le résultat final. Pour quelqu’un comme moi, qui aime beaucoup le micromanagement, c’est quelque chose de totalement impensable. Comment vous faites?

FÉLIX : Il n’y a pas de formule miracle, il faut vraiment l’accepter.
OLIVIER : Le show que tu vas voir c’est l’exercice qu’on fait. On écrit des sketchs, mais après ça… Plus que tu donnes d’indications dans les didascalies, dans les descriptions des lieux, des personnages…
ZACHARY : Nos profs nous le disent : « si tu ne veux pas laisser ça au hasard, ne reste pas assez flou, parce que si tu restes assez flou, le réalisateur/la réalisatrice va faire le show à ta place ».
OLIVIER : Mais il faut en laisser quand même, mettons le show qu’on a là, ce sont des comédiens professionnels. Des fois, ils ont des suggestions qui amènent notre sketch ailleurs.
LAURENCE : C’est un travail de lâcher prise aussi. De comprendre que c’est un peu ça la vie d’auteur qui nous attend. On écrit et des fois on n’a plus le contrôle après.
FÉLIX : Après, il faut prendre du recul et se dire que l’idée de base, ça reste quand même nous, il faut accepter cette fierté et ne pas rester bloqué parce que je sais qu’on peut avoir des tendances perfectionnistes.
ZACHARY : Alors que le public ne le voit même pas!
FÉLIX : Exact, si ça se trouve c’est drôle pareil, mais vu que ce n’est pas drôle comme toi tu l’avais imaginé…
OLIVIER : Encore là, ça dépend du projet!
ZACHARY : C’est ça que j’allais dire! Mettons si c’est toi qui as porté l’épisode et qu’une maison de production accepte ton idée de série, t’écris tous les épisodes, il y a probablement des bonnes chances que tu sois sur le tournage. Daniel Chiasson, notre professeur, c’est ça qui nous disait. Sur une série qu’il avait écrite, il nous disait « on était là de A à Z, parce que c’est notre projet de cœur puis la prod voulait qu’on soit là, qu’on soit investi ».
OLIVIER : Des fois il y a des pools d’auteur, des fois t’es 9 auteurs sur une série, t’as pas le sentiment d’appartenance aussi fort que si c’était ton projet. Des fois, quand tu écris juste avec un humoriste, tu pratiques le show avec lui, tu deviens quasiment metteur en scène.

QUESTION : On voit généralement l’humour comme étant quelque chose de très naturel, de très organique, de spontané. Comment on fait, dans une industrie qui est exigeante, qui a des attentes, des calendriers, des enjeux économiques, des deadlines, pour conserver le côté ludique et naturel de l’humour?

OLIVIER : C’est sûr qu’on commence, mais je pense que le fait que ça change tout le temps ça aide à garder ce petit côté magique là. Il n’y a pas tant de routine, même si dans toutes les productions il y a quand même des deadlines, des calendriers similaires. Mais vu que ce n’est jamais le même projet, le même univers, je pense que c’est ça qui est le fun comme auteur aussi, c’est que tu peux écrire avec un humoriste qui fait de l’absurde, tu peux écrire avec un humoriste qui fait du stand up classique, tu peux écrire sur des shows télé, des shows radio. Ça se peut qu’il y ait des journées où on n’est pas créatif, faut l’accepter. Il y a des outils, des moyens de stimuler sa créativité, mais des fois si t’as une journée de marde, t’as une journée de marde, faut que tu l’acceptes. Je pense aussi que l’ENH nous a drillé à avoir des deadlines serrés et nos profs c’est ça qui nous disaient : « si ton deadline c’est jeudi midi, tu envoies ce que tu as le jeudi midi, même si ce n’est pas la meilleure version au monde ». C’est tout le temps des V1 (note de l’auteur : V1 pas dans le sens de l’escalade, dans le sens de « première version ») généralement qu’on envoie. Après ça, tu reçois les commentaires de tout le monde et même si tu n’es pas satisfait en envoyant ta V1, tu fais juste le dire. Vu que c’est un travail d’équipe, j’ai l’impression que ça enlève cette pression-là. Et puis quand t’es super inspiré, des fois, une affaire que d’autres ça leur prendrait quatre heures à faire, toi ça t’a pris 30 minutes. Et parfois, une affaire qui aurait dû te prendre 30 minutes va te prendre quatre heures.
FÉLIX : L’ENH te forme bien à la pression, au rythme, à la deadline. C’est vraiment un bon apprentissage avant de nous lancer dans le grand bain.
ZACHARY : Mais ça t’apprend surtout à te séparer de ce que tu remets. Je ne sais pas pour vous, mais je pense que la chose que tu apprends le plus dans la première session, la première semaine t’es comme « je peux pas envoyer ça, c’est pas bon » et d’après de te dire que « c’est mon travail qui n’est pas bon, ce n’est pas moi qui n’est pas bon ». Si ce n’est pas bon, ce n’est pas moi qui suis à chier, c’est mon travail qui n’est pas bon. Mais c’est tough de faire ça, parce que toute ta vie, être drôle c’est associé à ta personnalité, associé à toi-même. Pas être bon en math, tu n’es pas bon en math. Pas être drôle, t’es comme « oh merde », t’apprends ça.
LAURENCE : Ouais, que tes idées ne te définissent pas.

QUESTION : Finalement, est-ce que vous êtes fier.ères de ce que vous présentez ce soir? Et est-ce que vous allez être fier.ères de ça dans 5 ans?

ZACHARY : No joke, ouais.
LAURENCE : On a un bon show je trouve.
OLIVIER : L’humour ça vieillit mal en général.
ZACHARY : C’est l’art qui vieillit le moins bien.
FÉLIX : Je pense que je vais être fier par rapport au chemin qui va être fait. Dans 5 ans, j’espère que je vais être ailleurs, que je vais voir l’évolution.
OLIVIER : C’est drôle que tu dises dans 5 ans, mais v’la 20 minutes je leur ai dit que je ne savais même pas si je repartagerais ces vidéos-là dans 4 mois. Je pense que, en ce moment, je suis fier de ça, je n’aurai jamais honte de ça, mais je vais peut-être juste trouver ça full cringe.
ZACHARY : C’est sûr que oui! Mais je pense que Félix a dit le mot magique. Je pense que c’est de savoir que y’a eu des moments tough dans la session, qu’on ne savait plus si on était drôle dans la vie et que là on présente de quoi qui est, selon moi, vraiment très drôle.

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En plus de savoir bien répondre aux questions, ces jeunes auteurs et autrices ont bien défendu la réputation de l’École nationale de l’humour devant un Théâtre Sainte-Catherine bondé. Mentions honorables pour les sketchs Présentation (Zachary T. Gauthier), Chandail (Laurence Lussier), Le Safe Space (Sarah Dunlavey), Partie entre apôtres (Félix Wagner), Causerie RH (Jacinthe Toupin), BotaCity (Olivier Guindon) et Rap Battle (Michel Compagna).

Par Romain Roche