Afrodisiaque : écouter ses racines

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Afrodisiaque : écouter ses racines

18 juillet 2022, Cabaret du 4e du Monument-National

Le Zoofest, ce n’est pas que des jokes, c’est aussi de la musique, du théâtre et des spectacles concepts. En allant voir Afrodisiaque, une pièce extraordinaire sur l’affirmation de soi d’une jeune fille québécoise afro descendante entre la période trouble de l’adolescence et le racisme systémique, on constate très rapidement que théâtre et humour ne sont pas mutuellement exclusifs. Au contraire, la comédienne d’origine haïtienne Maryline Chery utilise autant son bagage théâtral, elle qui est diplômée en arts de la scène de l’université Concordia, que ses habiletés acquises en improvisation pour interagir et s’approprier l’expérience du public. Des rires, des « aaaahh », des « oh! », des hochements de tête… l’assistance était tout sauf passive et silencieuse en ce beau lundi soir au quatrième étage du Monument-National.

Afrodisiaque est un monologue – les gens allergiques au théâtre, calmez-vous – qui ne se ressent vraiment pas comme tel. Tantôt Rhizome, le personnage principal – auquel je viendrai bientôt —, tantôt l’opinion publique qui passe par les camarades de classe blancs et les Karen (le concept, pas juste le prénom) de ce monde, tantôt M. Legault, le prof d’histoire qui se fait obliger à parler de racisme en classe alors avoir que le programme gouvernemental a négligé l’histoire des noir.es pendant tout le curriculum, ou M. Trudeau, le directeur de l’école qui blâme la personne de couleur pour le racisme dont elle est victime, Marilyne Chery personnifie parfaitement tous les problèmes de l’existence d’une jeune fille noire qui a du mal à s’accepter. La comédienne n’est cependant pas tout à fait seule. Elle est accompagnée par Alexis Garceau, alias Don Paco master of keys qui a signé la composition musicale et la conception sonore de la pièce, mais qui s’avère être un élément de mise en scène dynamique. Il ne faut pas non plus oublier « Kevin », un spectateur à qui on a demandé de participer à la pièce, en spécifiant avoir besoin d’un homme blanc (pas moi, quand même, je jugeais le spectacle). Bien accompagné par Garceau, le volontaire « Kevin » se prête au jeu et interprète un camarade de classe ignorant du confort de son siège.

J’en arrive finalement au contenu du spectacle : Chery interprète Rhizome, la racine d’un cheveu (reste avec moi) de Mady, 13 ans, une jeune fille afro descendante qui s’installe à Laval et y découvre une nouvelle école secondaire. Un peu à la manière du film Pixar Inside out (Sens dessus-dessous, tokébecicitte), Rhizome incarne la voix intérieure de Mady et qui veut le meilleur pour elle, mais en plus d’une racine de cheveu, elle est la racine afro descendante de l’adolescente. Si Mady peine à aimer ses origines et son identité, ses origines et son identité adorent Mady et veulent à tout prix qu’elle s’épanouisse dans le respect. Rhizome et Mady sont rapidement et quotidiennement confrontés à du racisme systémique, et Marilyne Chery, également dramaturge de son texte, s’attaquent à des exemples concrets et facilement identifiables : l’objectification du corps des femmes noires, les différences physiques (manifestées par un combat de lutte entre Rhizome et un élastique à cheveux), les représentations dans les médias québécois traditionnels et dans le système d’éducation, les commentaires racistes tellement intériorisés qu’ils en sont banalisés, et j’en passe. Vêtue d’un sarrau, Rhizome donne un cours express à Mady sur comment réagir au racisme systémique.

Dans le public, les personnes de couleur reconnaissent des situations qui leur arrivent régulièrement. Les personnes blanches reconnaissent les Karen de ce monde. Personne ne se sent attaqué ou n’a l’impression qu’on lui fait la morale. Le consensus antiracisme qui habite le public est tout à fait moindre que la fascination à regarder la performance magistrale et rassembleuse de Marilyne Chery. Tout le monde rit et passe un bon moment. Tout le monde se lève pour applaudir quand le spectacle est fini. On n’a eu droit qu’à une version courte et plus légère de la pièce (édition Zoofest), mais le public espère que Mady trouvera la voie pour s’accepter et être fière de ses origines.

Afrodisiaque sera de retour le 24 juillet au Cabaret du 4e du Monument-National dans sa version courte, et fera la tournée des Maisons de la culture à l’automne dans sa version longue.

Alexis Garceau, alias Don Paco master of keys, a une panoplie de sujets à découvrir. Il est membre de la formation funk rock Funkish Chavez (que j’ai aussi vue en spectacle : électrisante), et participe à des projets avec plusieurs artistes. Il travaille également à son premier projet solo : S. H. A. D. E. S.

Écrit par Félix-Jazz Daoust